Deux Vies
Face à l'abominable, elles découvrent Dieu et lui font confiance
Nous sommes dans la 1ère moitié du 20e siècle. La 2e guerre mondiale les touche de près : elles sont nées JUIVES. Elles n’ont pas pour autant de socle religieux. Par des chemins différents, elles découvrent la Bible, les Évangiles. Rien ne pourra plus les séparer de DIEU, en qui elles mettent toute leur CONFIANCE, et ce, jusqu’à la fin : l’abomination à Auschwitz.
Des femmes au parcours semblable :
- Jeunesse, études et recherche constante
- Lectures chrétiennes et découverte de Dieu, puis CONFIANCE absolue
- Cheminement serein vers la Mort prématurée
Édith Stein – allemande, 1891-1942.
Jeunesse, Études et Recherche de vérité
Édith étudie la philosophie : non convaincue par la foi, elle recherche une vérité. Avec son ami polonais R. Ingarden, elle suit les cours d’ E. Husserl, fondateur de la phénoménologie. En 1916, elle obtient le doctorat (rare pour une femme à cette époque) avec sa thèse sur « l’empathie » : méthode de connaissance de l’autre à partir de la perception extérieure des phénomènes. Ex : en percevant le visage souriant de l’autre, je peux deviner la joie, quand bien même je serais triste. La rencontre profonde avec l’autre permet d’éprouver ce qu’il ressent : ainsi, on peut avoir mal rien qu’à l’idée de voir souffrir l’autre sous nos yeux.
Collaboratrice de Husserl, elle participe à des cercles de réflexion avec M. Scheler qui vient de se convertir au catholicisme ; elle en est troublée. « Il était rempli d’idées chrétiennes et savait les exposer avec persuasion. Ce fut pour moi la révélation d’un univers jusque-là inconnu. » Édith porte en elle le souci de l’autre ; en 1917, elle s’engage comme volontaire infirmière de la Croix-Rouge, suspendant ses études.
Cependant « L’été 1919, … j’étais dans un état pitoyable » … Elle se dit « familière des dépressions », ce qui ébranle son espérance de recherche en philosophie. Son malaise culmine avec la mort de Reinach qui l’avait aidée pour rédiger sa thèse. Elle écrit à Ingarden : « Ce que je cherche maintenant, c’est la paix et le recouvrement de la conscience complètement brisée de moi-même. »
Rencontre, Lecture chrétienne et découverte puis Confiance en Dieu
Elle console la veuve de Reinach, mort à la guerre, et s’attend à la voir effondrée. Mais elle reçoit du réconfort : elle découvre une croyante, ayant convaincu son mari de recevoir le baptême peu auparavant. « Ce fut ma première rencontre avec la Croix…. Ce fut le moment pendant lequel mon irréligiosité s’écroula et le Christ resplendit ».
Été 1921, elle est chez des amis et prend dans leur bibliothèque l’autobiographie de Thérèse d’Avila. L’ayant lue d’une traite durant la nuit, elle referme le livre en concluant : « Je commençais à la lire, aussitôt, je fus captivée … quand je fermai le livre, je me dis : c’est la VERITE ! ».
Avec en elle la certitude du Christ, sa philosophie devient forte, et de plus engagée dans les questions de son époque. Le 1er Janvier 1922, jour de la circoncision de Jésus (fidélité à l’alliance entre Israël et son Dieu), elle reçoit le baptême. « J’avais cessé de pratiquer la religion juive, et je me sentis de nouveau juive ». Ses élèves témoignent : « En la voyant prier à la chapelle, il nous semblait toucher au mystère de Dieu, présent dans une âme… une vie transformée par la foi. » A 30 ans, c’est une renaissance : « Pour moi, c’est devenu une réalité… Maintenant, je t’ai et je ne te lâcherai jamais plus. Où que me conduise le chemin de la vie, tu es toujours auprès de moi, rien ne pourra jamais me séparer de ton amour. »
Non, rien, pas même l’incompréhension de sa parenté juive. Paradoxalement, c’est dans la lumière du Christ qu’Édith découvre son héritage juif et l’enracinement vrai de sa foi chrétienne en celui-ci.
La vérité alors à transmettre : comment apprendre à vivre dans la main du Seigneur. « Pour le jeune, croire qu’il est inscrit dans la main de Dieu et que sa destinée lui est donnée par Dieu, doit éveiller en lui responsabilité et CONFIANCE. » Elle en est un exemple : sur les conseils de son directeur spirituel, elle renonce à rejoindre le Carmel, et poursuit l’enseignement durant 10 ans. L’ «empathie» prend une connotation particulière quand il est question de connaître Dieu qui est au cœur de la communauté des hommes. En 1923, elle rejoint le monastère des «Dominicaines enseignantes» à Spire. Années de prière, écriture, enseignement, avec St-Thomas, St Jean de la Croix, Ste Thérèse d’Avila. Elle écrit : « Celui qui appartient au Christ doit prendre lui aussi le chemin de la Croix … les souffrances extérieures ne sont rien, en comparaison de la nuit qui envahit l’âme lorsque la lumière divine ne brille plus : Dieu est là, mais caché et se tait …disons : ‘Que votre volonté soit faite’ ».
En 1933, Hitler accède au pouvoir, des manifestations de violence s’exercent à l’encontre des juifs, leur interdisant toute activité professionnelle publique. Edith n’a plus d’avenir dans l’Allemagne nazie. Elle abandonne sa chaire d’anthropologie à l’Institut de pédagogie de Münster. Le 14 Avril 1933 elle entre « dans une paix profonde » au Carmel de Cologne. « Je me sentis envahie par la paix de quelqu’un qui a atteint son but ». Devenue Sœur Bénédicte de la Croix, elle reste solidaire du destin tragique du peuple juif et porte douloureusement dans la prière le sort des siens. « Sous la Croix, je compris le destin du Peuple de Dieu … Ceux qui comprenaient que c’était la Croix du Christ, devaient la prendre sur eux au nom de tous. »
Sa mère meurt en 1936 : « Puisque sa foi et sa CONFIANCE en Dieu … furent l’ultime chose qui demeura vivante dans son agonie, j’ai CONFIANCE qu’elle a trouvé un juge clément et que maintenant elle est ma plus fidèle assistante, en sorte que moi aussi, je puisse arriver au but. » Sa prière est marquée de simplicité, de CONFIANCE et de persévérance : « Une fois que l’on s’est totalement remise entre les mains de Dieu, il faut lui faire la CONFIANCE de penser qu’il saura bien tirer quelque chose de nous. » « Pour deux personnes qui ont vécu longtemps ensemble et qui ont CONFIANCE l’une dans l’autre, les mots sont superflus. Il en va de même du commerce d’une âme avec Dieu… Dès qu’elle entre en prière, elle est auprès de Dieu et demeure dans l’abandon amoureux de sa présence. »
Fin 1938, et la « nuit de cristal », elle se réfugie au Carmel d’Echt (Pays-Bas). Son intuition spirituelle demeure dans un refus de la violence adossé à une CONFIANCE radicale en Dieu : « Acquiescer à notre propre impuissance et pauvreté et nous abandonner avec autant plus de CONFIANCE à l’amour tout-puissant, c’est la grande sagesse que nous devons sans cesse pénétrer à nouveau et toujours plus profondément. » Le 6 Janvier 1940, Epiphanie et Exaltation de la Sainte Croix, elle invite ses sœurs à lire l’histoire dans une attitude de foi : « Dieu reste fidèle à sa création malgré toutes les infidélités de ses créatures »… « Avec CONFIANCE nous devons livrer nos âmes à la motion puissante de l’Esprit Saint. »
Cheminement confiant vers la mort
La haine nazie la rejoint : elle est arrêtée le 2 Août 1942 avec sa sœur et de nombreux moines et moniales d’origine juive. Elles sont assassinées à Auschwitz le 9 Août 1942.
Les rares témoins des scènes déchirantes du camp de transit hollandais (Westerbork où nous retrouverons Etty Hillesum), ont témoigné de l’impression de paix quasi surnaturelle qui émanait alors de la personne d’Édith. « Sœur Bénédicte allait parmi les femmes comme un ange de consolation, apaisant les unes, soignant les autres ». Elle meurt au nom du peuple juif ; ses dernières paroles adressées à sa sœur : « Viens, nous partons pour notre peuple. »
Jean-Paul II la canonise : « Une fille d’Israël, qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié Jésus-Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive » (extrait de l’homélie de Jean-Paul II).
Femme, philosophe, carmélite et juive, elle reste un modèle de communion et d’unité entre les différences : entre des peuples, des personnes, des religions.
Etty (Esther) Hillesum – 1914-1943
Ses amis ont publié ses écrits rédigés en néerlandais ; la version française porte le titre de « Une vie bouleversée ».
Jeunesse, études, et recherche de Soi
Etty naît juive, Hollandaise en 1914, puis passe une enfance difficile avec ses parents. Sa mère d’origine russe est colérique; son père est professeur de latin-grec, dirige un collège, changeant souvent de domicile ; ses deux frères ont un psychisme fragile. Ils sont juifs non pratiquants. Solitaire, sans réel socle familial ou religieux elle ne connaît pas la tradition d’Israël. Plus ou moins dépressive, elle a un désir de possession matérielle et physique, ce qui provoque des accès de boulimie. Les conquêtes amoureuses ne la comblent pas, car elle recherche un absolu sur lequel elle ne sait pas mettre de nom.
Elle s’établit à Amsterdam à 18 ans dans une pension de famille allemande. Étudiante en droit elle obtient Licence, Maîtrise. S’intéressant à la littérature elle se sentait douée pour l’écriture. Mais, comment améliorer ses problèmes psychiques ?
Elle évolue grâce à une rencontre avec Julius Spier le 3 Février 1941, (disciple de Jung) réfugié juif allemand. A 27 ans, « la pauvre godiche peureuse » est hantée par des dépressions, « cette recherche inquiète, cette insatisfaction, ce sentiment de vide derrière les choses… ». Elle entame une thérapie. Il lui décrit son caractère et ses potentialités, lui conseille de tenir un JOURNAL : 11 cahiers (manque le 7ème) seront retrouvés chez une amie après sa mort.
Julius lui dit d’écouter sa petite voix intérieure, de se mettre en paix avec les autres et surmonter son passé avec elle-même. Au bout de quelques mois, elle constate que la canalisation de ses pulsions est compliquée.
Assistante de Spier, elle en tombe amoureuse (il a 54 ans et elle 27). Il sait qu’en cédant, il «trouble» le transfert analytique et qu’il la freine dans sa quête de spiritualité. Marié avec enfants, sensuel, il a aussi une grande spiritualité, et sait comment dépasser ses instincts. Etty est menée vers la prise de conscience de son monde intérieur et l’acceptation de sa réalité : « Si paradoxal que cela semble, Spier guérit les gens en leur apprenant à accepter la souffrance … on ne peut guérir sans amour des gens qui ont un trouble psychologique. »
Elle découvre au plus profond d’elle ce qu’elle commence par appeler Dieu. Elle ressent « un amour et une pitié très profonde pour les êtres et pour l’humanité en général ». Son travail sur elle et la résolution de problèmes deviennent source de sens : « Je dois m’expliquer avec moi-même… Il me faut jeter par-dessus bord beaucoup de paresse, mais surtout beaucoup d’inhibitions et d’incertitude pour me rejoindre moi-même. »
Après la rencontre, lectures et confiance en son Dieu
Spier apprend à Etty à trouver son centre, la bulle d’intériorité où elle pourra se retrouver. Il conseille des lectures chrétiennes, la Bible, qu’il médite lui-même, les Évangiles et surtout St Augustin, Eckhart… Cet amour l’ouvre à Dieu d’une façon irrésistible : « Il m’a ouvert la route qui conduit directement à Dieu … ». Dans les Évangiles, elle est frappée par l’enseignement de Jésus sur l’abandon à la Providence. « Cet après-midi … comme les soucis voulaient m’assaillir de nouveau … je me suis dit : toi qui prétends croire en Dieu, sois un peu logique, abandonne-toi à sa volonté et aie CONFIANCE. Ne t’inquiète pas du lendemain. »
Spier et Etty lisent d’autres auteurs : Rilke, Dostoïevski, Tolstoï. Elle parvient à structurer sa pensée : « J’ai en moi une immense CONFIANCE, non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi, mais celle de continuer à accepter la vie et à la trouver bonne, même dans les pires moments. » Elle trouve souvent force et paix dans la prière : un dialogue spontané, très intime et profond avec Dieu: « Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits il y a Dieu. Parfois, je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors, il faut le remettre au jour. »
Qui est Dieu ? Un Dieu intérieur, accueilli et abrité en soi. Augustin la conforte dans cette rencontre avec l’intériorité, lui qui avoue avoir cherché à l’extérieur ce Dieu si proche de lui puisqu’en lui. Elle identifie Dieu avec ce qu’il y a de plus profond en elle, dans une exigence d’écoute intérieure permanente : « Maintenant, je sens la nécessité de m’agenouiller soudain au pied de mon lit …. Être à l’écoute de soi-même. Se laisser guider, non plus par les incitations du monde extérieur, mais par une urgence intérieure… Les premiers balbutiements sont passés, les fondements sont jetés. »
Comment vivre dans ce contexte de persécution :
Menaces, humiliations progressives, atteintes à la vie, rafles contre les juifs : « on cherche le sens de cette vie, on se demande si elle en a encore un… Tout semble si menaçant, si funeste, et cette terrible impuissance ! […] Il m’arrive souvent de trouver plus facile de mourir que de vivre. […] La haine et la peur sont les principales menaces contre la liberté intérieure de l’homme. » Dans le contexte de la Shoah, Dieu est à accueillir et à abriter. Il peut s’absenter, « ce sera alors à moi d’aider Dieu en protégeant le cocon qu’il a tissé ». Face aux horreurs : Dieu est un Dieu d’Amour qui libère de la haine. Augustin l’aide encore : il faut se tourner vers l’autre et l’aimer comme soi-même, sortir de soi, aimer l’autre comme un frère même quand il est ennemi ! Répondre au mal par le mal conduit à une impasse ; il faut rejoindre l’amour universel dans ce regard que porte la victime sur son bourreau.
Elle pratique alors le détachement par rapport à la période dans laquelle elle vit. « Que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu’il n’est déjà. » Elle écrit le 1er Juillet 42, en dépit de tout : « Je trouve la vie belle, digne d’être vécue et riche de sens…Je me sens libre… Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose le dire sans fausse honte… Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie, oui… En l’an de grâce 1942 […] Je vois et je comprends sans cesse plus de choses, je sens une paix intérieure grandissante et j’ai une CONFIANCE en Dieu qui prenait une telle ampleur, au début, que j’en étais presque effrayée, mais qui fait de plus en plus partie de moi-même. »
« Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit, pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance défilant sans arrêt devant moi. » Elle oppose à cette expérience de la nuit une confiance et une grande force de vie : « Maintenant, je vais me consacrer à cette journée. Je vais me répandre parmi les hommes et les rumeurs mauvaises, les menaces m’assailliront comme autant de soldats ennemis une forteresse imprenable ».
Déportée au Nord des Pays-Bas, à Westerbork
Dans ce camp de transit pour les juifs destinés au transfert pour Auschwitz, elle s’engage dans le Conseil juif pour venir en aide aux juifs. Elle fait office d’assistante sociale ; elle décrit le climat, dur, cru, mais elle conserve sa confiance au Dieu d’Amour et veut le transmettre aux siens. Grâce à son statut officiel, elle a encore l’opportunité de quitter le camp et de rentrer à Amsterdam pour se refaire une santé. Et malgré les moments « où toutes les détresses et les solitudes nocturnes d’une humanité souffrante traversent mon humble cœur et l’emplissent d’une douleur nauséeuse » je ressens « une petite vague qui remonte toujours en moi et me réchauffe, même après les moments les plus difficiles ; comme la vie est belle pourtant. » 24 Septembre. « De tes mains, mon Dieu, j’accepte tout, comme cela vient. C’est toujours bon, je le sais. J’ai appris qu’en supportant toutes les épreuves on peut les tourner en bien… ». Elle affronte pourtant la misère des baraques surpeuplées, les nuits des convois quand les trains de marchandises partent avec mille malheureux entassés dans les wagons, vers les camps d’extermination en Pologne. « Ce qui importe, ce n’est pas de rester en vie coûte que coûte, mais comment on reste en vie. Il me semble parfois que toute situation nouvelle, qu’elle soit meilleure ou pire, comporte en soi la possibilité d’enrichir l’homme et de nouvelles intuitions. »
30 Septembre 42 : elle refuse de se laisser dominer par la peur : « à chaque jour suffit sa peine. Les pires souffrances de l’homme sont celles qu’il redoute… Car le grand obstacle, c’est toujours la représentation de la souffrance et non sa réalité… En brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle. ».
Sa vie de prière s’approfondit : « Ma vie s’est muée en un dialogue ininterrompu avec Toi, mon Dieu… Quand je me tiens dans un coin du camp, les pieds plantés dans la terre, les yeux levés vers ton ciel, j’ai parfois le visage inondé de larmes – unique exutoire de mon émotion intérieure et de ma gratitude, … et c’est ma prière. […] ’élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d’ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d’un couvent, et j’en ressors plus concentrée, plus forte.[…] Je suis toute la journée en grande conversation avec Dieu comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. »
Le cheminement confiant vers la mort
Le 5 Juin 1943, après un séjour de 6 mois à Amsterdam, elle rentre au camp. A partir de Juillet, elle perd son statut de fonctionnaire et devient une détenue comme les autres. Le moment est venu de se rappeler la leçon « la plus dure, mon Dieu : assumer les souffrances que tu m’envoies et non celles que je me suis choisies ».
Où est le Dieu d’amour au cœur de la Shoah ? Et s’il y a Dieu, pourquoi n’agit-il pas ? Le Dieu d’Etty, comme celui des chrétiens, est vulnérable, il souffre avec l’humanité souffrante. Elle, opte pour la résistance spirituelle. Elle aurait pu rejoindre la clandestinité, mais elle endosse le destin du peuple juif ; elle garde CONFIANCE en la beauté de la vie, en Dieu protecteur. Elle parle des grands bras de Dieu, se dit comme un oisillon dans sa main. Privée de sa liberté extérieure, condamnée à l’impuissance, elle constate : « Un moment vient où l’on ne peut plus agir, il faut se contenter d’être et de l’accepter. Et cette acceptation, je la cultive depuis longtemps. » 10 Juillet 43.
La mort est l’éternité dans le constant ; là se réunissent passé, présent et futur. Elle arrive à un état de détachement absolu : « L’éventualité de la mort et intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter, c’est élargir la vie. A l’inverse, sacrifier maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on se prive d’une vie complète, et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie. » Etty est fidèle jusqu’au bout à la ligne de fond de sa vie : « Je suis prête à tout accepter, tout lieu de la terre où il plaira à Dieu de m’envoyer, prête aussi à témoigner à travers toutes les situations et jusqu’à la mort, de la beauté et du sens de cette vie. »
Lorsque ses frères furent déportés, elle a choisi de les accompagner. Deux semaines plus tard, elle se retrouve assise sur son sac à dos dans un wagon bondé ; elle écrit sur une carte postale : « Nous avons quitté ce camp en chantant, père et mère très calmes et courageux. J’ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : Le Seigneur est ma chambre haute. » Cette carte est la dernière trace écrite d’Etty, lancée dans les champs depuis une fente du train, trouvée par des paysans et postée à son amie ; elle porte la date du 7 Septembre 1943.
Elle meurt à 29 ans le 30 Novembre 43. Les lignes de son journal du 4 Octobre 42 auraient pu être rédigées par elle durant cette nuit : « En pleine nuit, je reste seule avec Dieu. Il n’y a plus personne d’autre pour m’aider … Je suis désormais toute seule avec Dieu. »
La foi d’Etty est libre, affranchie de tout dogme. Elle ne parle pas du Christ ni du monde judaïque. Elle endosse le destin du peuple juif. Dieu est à la fois incarné et abstrait, ancré au centre d’un ordonnancement supérieur de la vie. « La vie est belle et pleine de sens ». Etty se place dans l’ici et maintenant ; barbelés ou pas, c’est une question de regard.
Elle nous guide vers la vraie liberté, dans un rapport de CONFIANCE, de proximité avec Dieu. « Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi ; c’est à mon tour de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. Tu vois comme je prends soin de toi. Je ne t’offre pas seulement mes larmes et mes tristes pressentiments… je t’apporte un jasmin odorant. Et je t’offrirai toutes les fleurs rencontrées sur mon chemin et elles sont légion, crois-moi. Je veux te rendre ton séjour le plus agréable possible. »
Note : Cet article, de Jean-Claude Staudt, complète son introduction sur le thème La Confiance dans le bulletin paroissial no 336.
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