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«  l’optimiste (celui qui a confiance) est celui qui prend un stylo pour faire des mots croisés »

Jean d’Ormesson

La publicité nous persuade d’acheter en ciblant des aspects de notre vie, sociale ou individuelle, correspondant à nos préoccupations. La confiance, de ce point de vue est un bon exemple, elle est actuellement un argument de vente : le « contrat de confiance » du marchand d’électroménager, la multitude des ouvrages de développement personnel pour conquérir la confiance en soi, l’ école de la confiance, la confiance des marchés …

Et en même temps on parle beaucoup de crise de la confiance : envers les politiques, comme le montrent les taux d’abstention élevés aux élections ; envers les syndicats ou associations, envers les médias, concurrencés par les réseaux sociaux et les GAFFA, et même envers les sciences, dont certaines vérités démontrées sont mises en doute. Cette méfiance croissante va avec ce qu’on appelle les théories du complot : des puissances cachées, politiques, claniques travailleraient à nous faire croire des choses fausses.

On est ainsi devant une situation compliquée : d’un côté, un besoin de confiance inhérent à notre vie d’humains et de l’autre, une situation globale de méfiance généralisée. Pourquoi en est-on arrivé là ? Est-il possible de retrouver cette légèreté de la confiance qu’on trouve dans la citation de Jean d’Ormesson, et dans l’image de l’affiche de la soirée : la main de l’enfant qui se tend vers celle de l’adulte, symbole de l’innocence et de la confiance totale de l’enfant en l’adulte, symbole aussi de ce devoir impérieux que nous pouvons ressentir, en tant qu’adultes, de ne jamais trahir cette confiance et de tout faire pour que l’enfant grandisse avec elle.

Définitions

Quelques définitions sont nécessaires, pour répondre aux deux questions.

Le dictionnaire nous dit : faire confiance, c’est remettre quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui c’est à dire, en s’abandonnant à sa bienveillance et à sa bonne foi. On peut donner un contenu à cette définition : je confie ma santé ou ma vie à Dieu, mais aussi au médecin, au policier, au pompier… Je confie mes enfants à la nounou, à la crèche, au médecin aussi, à ses grands parents, aux enseignants… Je peux confier mon avenir au pays… Dans ces exemples on voit à quel point la confiance règle nos vies, au quotidien. Elle est absolument nécessaire quand les compétences d’un(e) autre sont requises, parce que nous ne les avons pas et elle concerne des actes qui se feront sans que nous intervenions, ce qui inclut l’avenir c’est à dire des actions futures.

La confiance, d’autre part, appartient au domaine du sentiment, de la croyance : c’est ce que montre l’expression courante « je ne le sens pas » quand soit quelqu’un, soit une situation ne nous inspirent pas confiance. Cela ne signifie pas l’absence totale de réflexion ou d’expérience : je donne ma confiance ou je la retire, en fonction de ce que je sais. La confiance n’est pas la crédulité, le crédule étant celui à qui on peut faire croire n’importe quoi. Mais avoir confiance demeure se fier à…

Enfin, parce que c’est un sentiment, la confiance est aussi ce qui nous fait bouger, dans nos rapports aux autres et au monde, dans lequel nous devenons acteurs. Par exemple, je ne m’engage pas dans le travail associatif si je ne fais pas confiance à l’association en elle-même, à ses animateurs et à la possibilité d’être utile.

Les mêmes remarques valent pour la confiance en soi : on s’accorde des compétences qui rendent possibles diverses activités, en se basant sur ce qu’on a appris par expérience et en réfléchissant aux réussites et aux erreurs qu’on a rencontrées.

Nécessité de la confiance au quotidien

Platon, philosophe grec du 4e siècle avant J-C nous permet de la comprendre : de fait, dit-il, chaque être humain ne peut accomplir bien qu’une seule tâche et doit pourtant satisfaire des besoins multiples. Les hommes doivent donc vivre en société, parce que seule la répartition des tâches résoudra le problème. Ainsi, une société commence à exister parce qu’un agriculteur produit la nourriture, un maçon construit des maisons, un tisserand fournit de la toile et un cordonnier des chaussures. Chacun produit ce qu’il sait faire et échange avec les autres pour satisfaire ses autres besoins.

La confiance est donc nécessaire, premièrement pour les échanges entre producteurs : chacun attend de l’autre qu’il fasse bien son travail et ne cherche pas à en obtenir plus qu’il ne doit ; deuxièmement, pour que chacun se livre à une seule activité ; il doit compter sur les autres pour lui fournir ce qui lui manque : chaque spécialiste doit être sûr de pouvoir bénéficier du produit du travail des autres.

Notre société est évidemment plus complexe, mais cette confiance-là continue d’être un pilier de notre existence sociale. Si la division du travail est nécessaire à une bonne satisfaction des besoins de chacun, elle rend les individus dépendants les uns des autres, mais complémentaires et leur impose de se faire mutuellement confiance. La confiance serait un pilier de notre quotidien, parce que nous sommes des individus incomplets, ayant besoin des autres pour vivre.Pourquoi cette nécessité est-elle, aujourd’hui, ignorée, voire niée ?

Un philosophe et un économiste nous servent de guide.

Adam Smith (portrait De 1787) Wikipedia
Adam Smith (portrait De 1787)

Adam Smith (1723 – 1790)

Fondateur de l’économie politique, il est le contemporain de la mise en place du capitalisme anglais au 18e siècle, dont il décrit les mécanismes.

Je retiens un court passage de ses analyses. Adam Smith se demande d’où peut venir la richesse des nations ; il en dégage un ressort, en prenant, comme Platon, l’exemple d’un producteur, le boulanger ; mais la question posée est la suivante : en tant que client, pour être bien servi, dois-je compter sur la bienveillance du boulanger ou sur le sens de son intérêt égoïste bien compris ? En clair, dois-je faire jouer le ressort de la sympathie que je peux lui inspirer ou que lui inspire le genre humain, ou, lui faire comprendre que si je ne suis pas bien servie, j’irai chez un concurrent ?

A. Smith opte pour la deuxième solution : la production et l’accumulation de richesses suppose la libre concurrence de producteurs égoïstes, mus par leur seul intérêt.

On voit que manquent au schéma de Platon, deux aspects présents ici : la prise en compte de celui qui produit, en tant qu’individu, et de ses motivations individuelles (les intérêts strictement égoïstes) et la dimension d’enrichissement. Le but de la production est la création de richesses, pas la simple satisfaction des besoins.

A. Smith est le premier à développer une conception libérale de l’économie et de la société (tout repose sur l’individu), mais elle est aujourd’hui dominante.

Cependant, elle pose deux sérieux problèmes : comment être sûr que la production, guidée par le souci du profit, réponde aux besoins réels des hommes ? Comment avec de tels sentiments les hommes vont-ils pouvoir être et se sentir complémentaires, coopérer, satisfaire les besoins communs et ne pas en arriver aux conflits meurtriers ? La solution apportée par A. Smith est la fameuse main invisible, agissant de manière souterraine et indépendante pour harmoniser les intérêts individuels et potentiellement contradictoires.

Le problème qui se présente à nous est le suivant : si l’analyse de Smith est juste, on voit mal comment la confiance mutuelle peut s’instaurer entre les individus; et si on en reste à Platon, on aura du mal à penser la société d’aujourd’hui.

On va examiner le problème du point de vue politique, avec le philosophe Hobbes.

Thomas Hobbes ( National Portrait Gallery) Wikipedia
Thomas Hobbes ( National Portrait Gallery)

Hobbes (1588 – 1679)

Il est philosophe et contemporain de la guerre civile anglaise du 17e siècle, dont il essaie de comprendre les causes. On trouve chez lui un schéma identique au précédent :une société n’est faite que d’ individus mus par leur intérêt égoïste ; mais Hobbes développe les conséquences politiques du schéma.

A quel état sont livrés les individus mus par leur seul intérêt égoïste, quand aucun pouvoir ne vient leur imposer de limites ? Réponse de Hobbes : c’est l’état de guerre de tous contre tous, ou guerre civile. Il est caractérisé par deux aspects : des conflits violents fréquents (pas incessants) et la défiance totale de chacun à l’égard de chacun comme source d’agressivité permanente.

On retrouve, inversée, la conception de Platon : dans un tel état, aucune collaboration n’étant possible, on ne produit rien, on n’échange rien, on ne développe aucune des activités qui rendent la vie confortable et civilisée.

Parce que cette guerre a pour origine la nature des hommes, elle est le danger qui guette en permanence toute société, sitôt que sont détruites les structures administratives, politiques, judiciaires, policières…

La seule solution politique pour empêcher cela est l’institution d’un pouvoir vertical, fort, capable de contraindre les individus à la collaboration en les empêchant de laisser libre cours à leur nature. Il naît du transfert que chacun opère de tous ses droits vers un chef, qu’il soit individu, un roi, par exemple, ou une assemblée. Ce tiers devient alors dépositaire de la souveraineté et Hobbes l’appelle Le Léviathan.

Quels problèmes pose cette perspective ?

Le premier c’est la conception très négative de la nature humaine : peut-on affirmer que ce qui surgit avec la guerre civile constitue le fond de tout homme ? Ne serait-ce pas plutôt la guerre qui engendre un tel homme ?

Deuxième problème : en admettant une tendance des hommes à l’agressivité, est-ce que la solution du pouvoir vertical fort peut conduire à la collaboration des hommes et à leur confiance réciproque ? La réponse est non, même pour Hobbes, un pouvoir qui contraint par force ou par menace ne crée pas la confiance, parce qu’il ne lui accorde aucune influence sur le comportement des hommes. Le loup est en tout homme et constitue une menace permanente pour la vie en société.

L’intérêt de l’analyse de Hobbes est de nous mettre en garde sur le risque permanent, pour toute société, de tomber dans la guerre civile ce que, malheureusement, l’histoire récente nous montre; il met en lumière un problème qui est celui de toute démocratie : pour que la paix civile se maintienne, l’existence du seul pouvoir vertical ne suffit pas, il faut un ciment de la société qui peut passer, par exemple, par le tissu associatif et le partage du pouvoir; là, la confiance retrouve son rôle majeur.

Malgré tout, pour qu’elle existe, on ne peut pas la supposer contraire à la nature humaine.

La confiance en soi

Si on reprend la définition, elle consiste en cette croyance que chacun a en ses propres compétences pour s’engager dans le rapport aux autres et dans l’action.

Comment nous vient-elle ? En premier lieu, de l’amour et de la confiance que nous ont donnés nos parents ; ensuite des expériences au cours desquelles nous apprenons à tester nos capacités.

Elle aussi fait, aujourd’hui, l’objet d’une mise sur le marché : multiplication des livres de développement personnel, des officines de coaches en tous genres, de psychologues positifs, de films qui en font le centre de tout bonheur…pour l’acquérir. Devenue marchandise, se définit-elle comme on vient de l’exposer ?

On peut rapidement répondre non, parce que la confiance est pensée soit en rapport avec un objectif de réussite professionnelle, soit exercée sous la forme du culte de soi. Dans les deux cas, elle est affaire strictement individuelle.

Le culte de soi consiste à s’adorer comme une idole ou à chercher à l’être par d’autres, c’est une mise en scène de soi-même, une construction d’image, un montage d’apparences auxquels on veut croire et à auxquels on veut que les autre croient. Ce n’est donc pas un soi qui est montré (et dans cette société de starisation, il faut être extrêmement solide pour ne pas en être détruit) ; ce n’est pas non plus un soi qu’on construit, mais une image conforme à ce que semble vouloir le groupe.

La confiance en soi avec objectif de réussite professionnelle a les mêmes ressorts, ce qui change étant le modèle auquel se conformer et qui est directement celui qu’impose une certaine conception de l’entreprise. Et où la concurrence joue un rôle essentiel : le modèle de confiance en soi est le « winner ».

Ces deux versions de la confiance impliquent la même conception de l’individu : il n’a besoin que de lui-même pour exister, il est seul responsable de son bonheur. La médaille a un envers : seul responsable de sa réussite et de son bonheur, il l’est autant de ses échecs et de son malheur.

Conception destructrice des individus, qui dédouane la société de toute responsabilité à leur égard. Contre cette conception, on peut affirmer que la confiance en soi est une construction non pas contre les autres, mais avec eux ; c’est en m’associant à des projets, ou en les initiant que je peux confronter mes capacités à celles des autres et à ce qu’exige la réalité. Elle suppose plutôt la bienveillance que la concurrence. Elle ne peut être que progressive parce qu’elle se fait à partir de la compréhension de ses capacités comme de ses incapacités. La confiance en soi repose sur cette connaissance jamais achevée : j’ai d‘autant plus confiance en moi que je connais bien mes limites.

Bilan de cette réflexion

On a défini la confiance comme cette capacité de remettre aux bons soins d’un tiers bienveillant, un bien précieux dont on est le propriétaire ; on a vu qu’ainsi définie, elle accompagnait nos gestes et comportements les plus quotidiens, ce qui la désigne comme un besoin de toute vie humaine, qu’elle soit individuelle ou collective. Or, la société dans laquelle on vit semble ne plus le reconnaître et cultiver, au contraire, la défiance généralisée, envers l’autre, les autres, les institutions…Cette conception a des conséquences immédiates visibles : beaucoup pensent qu’on ne peut et ne doit compter que sur soi ; et des conséquences potentielles dangereuses , du point de vue politique, comme le montre Hobbes. La confiance en soi qui découle de cette vision de la vie n’est guère plus satisfaisante, dans la mesure où l’individu ne devient pas quelqu’un d’authentique, mais plutôt le résultat d’un formatage.

Or, le problème, c’est que la confiance demeure un besoin :nous aurons toujours besoin les uns des autres pour satisfaire nos besoins matériels, nos besoins affectifs et acquérir confiance en nous-mêmes. Et comme on ne peut pas trancher la question de la bonté ou de la méchanceté des hommes, de leur droiture ou de leur esprit retors, ne nous reste que la solution du pari : prendre le risque de faire confiance. Cette solution offre au moins un avantage constatable : certes, on peut être trompé quelquefois, mais faire confiance est moins coûteux, psychologiquement et nous rend beaucoup plus légers. « L’optimiste est celui qui prend un stylo pour faire des mots croisés »

Note : Cet article, de Claude Lanher, est le résumé de sa conférence organisée par l’association Partage sans Frontières.
Il complète l’article publié dans le bulletin paroissial LE SIGNAL no 336 de décembre 2019.

 

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