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Lien vers les lectures du dimanche 6 juillet

L’Évangile de ce jour nous présente une scène de joie et de victoire : les soixante-douze disciples reviennent, tout heureux, de leur mission. Ils s’exclament : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! » Et Jésus leur répond, par une phrase énigmatique :
« Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. »
Que signifie cette chute de Satan ? Pourquoi Jésus la relie-t-il à la mission des disciples ? Et que nous dit-elle sur notre monde, nos violences et notre salut ?
Pour mieux comprendre, je vous propose aujourd’hui d’écouter cet Évangile avec les oreilles de René Girard, ce penseur chrétien du XXe siècle, qui a mis en lumière une vérité biblique trop souvent oubliée : nos violences viennent du désir mimétique, et Satan règne tant que nous croyons à l’innocence de nos boucs émissaires.
Selon Girard, notre désir n’est jamais totalement autonome. Nous désirons ce que l’autre désire. Imaginons deux enfants dans une pièce remplie de jouets. L’un d’eux prend un jouet au hasard. Soudain, ce jouet devient celui que l’autre veut aussi. Non pas parce qu’il est intrinsèquement meilleur, mais parce qu’il est désiré.
L’objet du désir devient désirable parce qu’un autre le désire. Les tendances vestimentaires illustrent bien le désir mimétique. Une star, un influenceur commence à porter un type de chaussures ; soudain, tout le monde en veut : Ce n’est pas la chaussure qui crée le désir, c’est le fait qu’elle soit désirée par une personne admirée.
L’adulte veut la reconnaissance, le pouvoir, l’amour, parce qu’il voit d’autres les vouloir. Ainsi naît la rivalité, la jalousie, la violence. Désirer le même objet cela engendre inévitablement des rivalités.
Deux amis veulent la même personne, la même reconnaissance sociale, ou le même poste. Chacun imite l’autre sans le savoir. Leur rivalité s’intensifie et la violence apparaît.
Et cela ne concerne pas que les individus, mais aussi les groupes, les nations, les religions, etc.
C’est cela que Jésus voit partout : des hommes qui s’imitent, se comparent, s’envient. Et derrière cette logique, une puissance spirituelle à l’œuvre — Satan, le diviseur, celui qui alimente la rivalité.
Mais comment les sociétés humaines ont-elles contenu cette violence ? Par un mensonge fondamental : le sacrifice du bouc émissaire. Hier on accusait en temps de peste, de crise les juifs d’avoir empoisonnés les puits, ou les femmes d’être des sorcières et on les brûlaient.
Hier comme aujourd’hui on cherche sans cesse et partout des coupables : on voit cela dans le débat politique qui devient une arène sacrificielle où l’on n’expose plus ses idées, mais où l’on dénonce l’ennemi pour le clouer au pilori.
On voit cela dans les réseaux sociaux qui amplifient cette logique de lynchage symbolique permanent. Et où une meute de loups peut rapidement se constituer et détruire des vies. Cela a conduit des enfants et des jeunes victimes d’harcèlement à se suicider. Ou même armer des tueurs comme on a vu avec ce professeur des écoles, Samuel Paty, égorgé devant son école.
On voit cela dans la violence, a priori incompréhensible, de bien des jeunes déstructurés qui, s’attaquant aux symboles de l’État — police, pompiers, etc. — trouvent dans leur violence un exutoire à leur mal-être.
À tous il leur faut un bouc émissaire.
Cette mécanique est vieille comme le monde. Elle est religieuse, politique, psychologique. Satan règne tant que nous acceptons ce mensonge : que la paix s’obtient en désignant un coupable commun sur qui on peut déverser sa haine.
Et voilà la bonne nouvelle : avec Jésus, ce mensonge est dévoilé. Sur la croix, Jésus est ce bouc émissaire innocent. Toute la logique violente du monde s’abat sur lui : trahison, accusation, injustice, foule haineuse, crucifixion. Et pourtant, Dieu ne cautionne pas cette violence. Il ressuscite Jésus. Il dit : « Celui que vous avez rejeté, c’est mon Fils bien-aimé. »
C’est cela, la chute de Satan : non pas une scène mythologique dans le ciel, mais le renversement d’un système. Quand Jésus envoie ses disciples, quand ils annoncent un Royaume sans violence, quand ils guérissent, libèrent, aiment — alors le pouvoir de Satan commence à tomber. Le monde commence à comprendre que le mal ne se combat pas par le mal, mais par le pardon.
Et Jésus conclut :
« Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Autrement dit : la véritable victoire n’est pas dans le pouvoir, même spirituel. Elle est dans la vérité, dans l’amour plus fort que la haine, dans le nom que Dieu nous donne, non pas comme bourreaux ou victimes, mais comme fils et filles.
Frères et sœurs, aujourd’hui encore, Satan cherche à régner. Il susurre que l’autre est le problème. Il nous pousse à désigner des coupables. Il nous divise. Mais Jésus l’a vu tomber, et il nous invite à faire tomber avec lui les logiques du mimétisme et de la haine.
Soyons donc de ceux qui ne jettent pas la pierre, mais tendent la main. Soyons de ceux qui annoncent une paix sans violence. Et alors, oui, Satan tombera à nouveau — non pas comme un éclair dans le ciel, mais comme une illusion qu’on ne croit plus.
Amen.

Père Gabriel Ferone

Retrouvez les homélies du père Gabriel  et du père Bertrand dans la rubrique « Messes et célébrations » / « Homélies des pères Gabriel et Bertrand » de ce site

Cet article comporte 1 commentaire

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