Lien vers les lectures du dimanche 7 décembre
Ils étaient venus dans le désert, attirés par la rumeur : « Le prophète Élie est revenu ! »
Curieux, les Pharisiens et les Sadducéens s’approchent de Jean-Baptiste.
Mais aussitôt, celui-ci les interpelle avec des mots d’une grande violence : « Race de vipères ! »
Pourquoi tant de rudesse ?
Parce que ces hommes viennent pour voir, non pour se convertir. Ils désirent le baptême, mais non le changement de vie. Ils veulent les signes extérieurs de la foi, sans la conversion du cœur.
Jean-Baptiste, qui connaît bien le cœur humain, dénonce alors une attitude profondément mensongère : se présenter comme repentant tout en refusant de laisser Dieu transformer sa vie.
Même Jésus, le “doux Jésus”, emploiera cette expression à deux reprises.
D’abord pour répondre à ceux qui l’accusent injustement :
« Race de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, alors que vous êtes mauvais ? » (Mt 12,34)
Puis pour avertir ceux qui prétendent honorer les prophètes tout en rejetant leur message :
« Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous échapper au châtiment de la géhenne ? » (Mt 23,33)
Ces paroles sont dures, mais elles ne sont jamais gratuites.
Dans la Bible, le serpent représente toujours la force du mensonge.
Dans la Genèse, il trompe Adam et Ève en déformant la parole de Dieu. Il pousse l’humanité à prendre au lieu de recevoir, à vouloir devenir “comme des dieux” par la force du poignet plutôt que par le don de Dieu.
Jésus dira qu’il est « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44).
Or le mensonge n’est jamais neutre :
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il empoisonne les relations, comme le venin d’une vipère ;
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il divise, comme la langue fourchue du serpent ;
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il éloigne de Dieu, en enfermant dans l’orgueil ;
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il contamine tout ce qui l’entoure, comme un virus.
Quand Jésus ou Jean-Baptiste parlent de “race de vipères”, ils dénoncent précisément cela :
la transmission du mensonge de génération en génération, le poids d’habitudes et de structures qui étouffent la vérité, au point de réduire la foi à une simple apparence.
Saint Jean-Paul II appelait cela les structures de péché : des systèmes, des habitudes, des mensonges collectifs qui étouffent peu à peu les consciences, comme un serpent s’enroule autour de sa proie.
Eugène Ionesco, qui avait connu la dictature communiste de son pays natal, l’a illustré dans Rhinocéros. Les habitants d’une ville y deviennent progressivement des bêtes aveugles, des rhinocéros.
Au début, personne ne réagit. Puis, presque sans s’en rendre compte, tous suivent le mouvement.
Ils renoncent à leur liberté, à leur conscience, à la vérité.
Seul un homme ordinaire résiste. Il refuse de mentir, de suivre la masse, d’abandonner sa conscience.
Son dernier cri résume sa résistance :
« Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout !
Je ne capitule pas ! »
Le totalitarisme — politique ou spirituel — commence toujours ainsi : par de petits mensonges acceptés, de petites abdications intérieures, de “raisonnables accommodements” qui, mis bout à bout, deviennent de véritables capitulations.
Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, imagine une forme nouvelle d’oppression, plus douce, plus insidieuse, qui n’a plus rien à voir avec la tyrannie ancienne.
Il décrit des peuples libres “enveloppés dans un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes”, sous un pouvoir paternaliste qui ne tyrannise pas, mais infantilise.
Un pouvoir qui prend tout en charge, dispense de penser, organise l’existence “pour le bien” de chacun, rend les hommes doux, tranquilles… mais passifs.
Ce n’est pas un totalitarisme brutal : c’est une érosion progressive de la liberté intérieure, sous prétexte de vérité officielle, étiquetée, certifiée. Ce pouvoir n’écrase pas l’homme : il l’endort.
Et l’homme, cessant d’aimer la vérité, s’y laisse peu à peu entraîner.
Face à cela, Jean-Baptiste emploie une parole rude — “race de vipères” — comme un électrochoc spirituel.
Son cri est un appel : « Réveillez-vous ! Ne laissez pas le mensonge vous endormir ! »
Quand on renonce à la vérité, quand on cherche à paraître plutôt qu’à être, quand la peur gouverne nos choix, alors le serpent commence à s’enrouler. C’est ce que les prophètes dénoncent : ce glissement intérieur qui fait préférer le confort à la liberté, la tranquillité à la vérité.
Parfois, pour sortir du mensonge, il faut un choc : une parole qui tranche, qui éclaire, qui perce nos illusions. Comme le dit un poète grec,” il est n’est plus temps de chanter des cantiques quand il faut le scalpel, c’est-à-dire une parole qui coupe pour guérir.
La parole “race de vipères” est un scalpel spirituel.
Frères et sœurs, cette page d’Évangile nous invite à regarder dans notre propre cœur :
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Où le mensonge commence-t-il à s’insinuer ?
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Où faisons-nous semblant de croire sans vouloir changer ?
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Où la peur, l’orgueil, l’apparence prennent-elles le pas sur la vérité ?
Le Christ ne parle jamais pour condamner, mais pour libérer. Sa parole, douce ou tranchante, est toujours au service de la vie.
Isaïe annonce le jour où le Messie désarmera définitivement vipères et cobras : « Le nourrisson jouera sur le nid du cobra, et sur le trou de la vipère l’enfant étendra la main. » (Is 11,8)
Ce jour où le mensonge perdra son venin, où la vérité régnera sans partage, c’est le Royaume que nous espérons.
İl ne suffit pas de déplorer que les autres s’éloignent de la vérité. Il faut refuser nous-mêmes de nous y habituer. Il faut reprendre chaque jour cette parole intérieure : “Je ne capitule pas.”
La conversion n’est rien d’autre que cela : un refus de céder au mensonge, et un consentement profond à la vérité du Christ.
Que cette parole traverse nos vies comme un souffle : debout dans la lumière, fidèles à la vérité, libres en Dieu.
Père Gabriel Ferone
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