Lien vers les lectures du dimanche 30 novembre
« Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra », nous avertit Jésus dans l’Évangile de ce jour.
C’est donc que le risque est grand de nous endormir ! Dans la vie trépidante actuelle, ce risque se conjugue plutôt en termes d’horizontalisme. Si nous ne laissons pas suffisamment de place à la transcendance, notre vie risque de tourner en rond.
Ce qui nous guette, ce sont les soucis ordinaires de la vie. Absorbés par le travail, les problèmes quotidiens, nous avons du mal à « lever la tête » et à ne pas perdre de vue l’horizon de la promesse qui donne sens à toutes nos activités. Au Moyen Âge, nos ancêtres avaient le sens de la verticalité. C’est pourquoi ils ont construit des cathédrales gothiques en s’appuyant sur la clef de voûte qui a permis de bâtir des édifices d’une hauteur inégalée à l’époque.
Des œuvres si vastes, si audacieuses, qu’il fallait parfois plusieurs siècles pour les achever. Celui qui posait la première pierre savait qu’il ne verrait jamais la dernière. Et pourtant, ils bâtissaient. Ces cathédrales étaient une sorte d’arche de Noé pour les hommes qui avaient la foi : une foi capable de traverser le temps, de voir très loin, de voir au-delà de la génération présente.
Quand on croit, on bâtit des cathédrales.
On croit en l’avenir, on ose imaginer ce qui dépassera sa propre vie, on se met au service d’une œuvre qui nous dépasse. La foi donne cette capacité de voir plus loin que soi, d’espérer malgré les obstacles, de construire un monde plus vaste que nos urgences immédiates.
Mais lorsqu’on ne croit plus, on vit dans l’angoisse du déluge.
On mange, on boit, on survit pour soi-même. On s’agite dans le présent faute de pouvoir rêver le futur. Il n’y a plus de projet qui aille au-delà de la journée, plus d’élan intérieur, plus de vision, simplement la peur de perdre ce qu’on a et l’impossibilité d’imaginer ce que l’on pourrait bâtir. Le néant n’est pas loin, pire encore que le déluge.
Vous avez sûrement déjà vu un hamster dans sa cage circulaire : il court, il pédale, il s’agite et s’étourdit dans le tourbillon de sa cage, mais en réalité il fait du surplace. C’est l’illusion d’être libre, alors qu’on ne fait que bouger dans une cage, dorée ou non. C’est l’illusion d’une vie active, alors qu’elle ne décolle pas d’une excitation stérile.
Bon nombre de gens mènent une vie de hamster — métro, boulot, dodo — mais il arrive aussi que, vers le milieu de la vie, le hamster lève les yeux vers l’au-delà de la cage et devine un autre univers, une autre liberté.
Mais la plupart, hélas, continuent obstinément de faire tourner les barreaux, trouvant dans la vitesse assez d’ivresse pour ne pas réveiller leur conscience.
La vitesse peut ressembler au rythme d’un métier auquel on peut tout sacrifier, à une certaine façon de consommer, de se distraire ou de survivre qui évite soigneusement les questions essentielles.
C’est ce que j’appelle le « syndrome du hamster » : se laisser enfermer dans le court terme et l’urgence — urgences familiales (les enfants à aller chercher, les courses à faire), urgences professionnelles (des « trous à boucher », des rapports à préparer pour le lendemain, des réunions qui s’enchaînent sans être vraiment préparées).
Or nous savons bien que les décisions prises dans l’urgence ne sont pas toujours les meilleures, loin de là. Nous savons bien que le court terme est desséchant à la longue : avoir toujours « le nez dans le guidon » fait s’éloigner de l’essentiel. Alors aujourd’hui, je voudrais vous inviter à lever les yeux.
Si vous levez les yeux vers les tours de Notre-Dame ou de n’importe laquelle de nos cathédrales gothiques, souvenez-vous que rien de tout cela n’aurait pu être construit sans une invention à la fois simple et prodigieuse : la grande cage en bois (roue de l’écureuil), actionnée par la force humaine, qui permettait de soulever des charges énormes jusqu’aux échafaudages.
Les bâtisseurs n’avaient ni grues mécaniques, ni moteurs, ni leviers modernes. Ils avaient cette roue gigantesque dans laquelle un ou deux hommes marchaient lentement, régulièrement, comme dans une cage… mais une cage ouverte vers le ciel, une cage qui ne tournait pas pour rien : à chaque pas, la cathédrale montait un peu plus.
En avançant dans cette roue, ils hissaient des blocs de pierre que leurs seules mains n’auraient jamais pu soulever. Le mouvement circulaire ne les enfermait pas : il construisait, il élevait, il donnait sens à leur effort. La même forme qu’un hamster, mais un usage totalement inverse : ici, la roue ne tourne pas dans le vide, elle élève le monde.
Comme quoi il suffit parfois de modifier la finalité du mouvement pour transformer une impression de servitude en œuvre grandiose.
Bref, si vous vous sentez prisonnier d’une routine qui tourne à vide, si vos journées ressemblent à une cage où vous courez sans avancer, peut-être est-il temps de réagir : quittez la cage, ou mieux encore, transformez-la en roue de bâtisseur, comme ceux qui ont bâti nos belles cathédrales. Faites de vos gestes répétés du quotidien une force qui vous élève. Faites de votre mouvement non plus une répétition, mais une ascension.
La clef de voûte de tout notre ouvrage, de tous nos efforts, c’est le Christ : c’est lui qui donne sens à tout ce que nous sommes et à tout ce que nous faisons, et qui en est l’achèvement.
Père Gabriel Ferone
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