Lien vers les lectures du dimanche 27 juillet
Aujourd’hui, la Parole de Dieu nous fait entendre deux récits d’intercession puissants. Abraham qui, dans une sorte de marchandage audacieux, plaide pour la ville pécheresse de Sodome ; et Jésus, qui nous raconte l’histoire de cet ami persévérant qui dérange un autre en pleine nuit, pour obtenir du pain… non pour lui-même, mais pour un tiers.
À travers ces textes, nous découvrons une vérité fondamentale de notre foi : l’intercession est un acte d’amour concret, un combat spirituel et corporel. Elle n’est pas accessoire : elle est au cœur de la vocation chrétienne.
Saint Jacques le résume ainsi :
« La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance. » (Jc 5,16)
Et c’est ici que nous pouvons nous tourner vers un grand intercesseur de l’Église : saint Dominique, mort en 1221.
Dominique ne priait pas seulement avec les lèvres ou le cœur, il priait avec tout son corps. De nos jours, on a beaucoup évacué cette dimension de la prière ; notre foi est devenue très cérébrale, très désincarnée. Nous avons, au fil des siècles, perdu une grande part de la dimension corporelle de la prière et de la liturgie. Pourtant, les gestes du corps ne sont pas secondaires. Ils ne sont pas du folklore : ils expriment et nourrissent notre relation à Dieu.
Autrefois, jusqu’au XVIe siècle, les églises n’étaient pas remplies de bancs comme aujourd’hui. On priait debout, ou à genoux, toujours en mouvement. C’était tout l’être qui participait à la liturgie. Malheureusement, cette période est celle justement où la liturgie est tombée dans une forme de théâtralisation : le chant grégorien cédait la place à des œuvres polyphoniques splendides mais complexes, transformant la messe en spectacle. Les magnifiques Leçons de Ténèbres du Vendredi Saint de Couperin, les Te Deum de Charpentier ou les messes de Vivaldi, si belles soient-elles, ont fini par faire de la liturgie une œuvre à admirer, plutôt qu’un acte du peuple de Dieu.
Un spécialiste de cette époque nous dit qu’on allait écouter les Leçons de Ténèbres comme on va aujourd’hui à un concert ; les femmes apportaient leur chaise, leur réchaud, parfois même… leur pot de chambre.
Depuis cette époque, nous avons peu à peu oublié que le corps prie avec l’âme. Nos célébrations se sont appauvries de gestes simples mais essentiels, et la réforme liturgique n’a rien arrangé. Rappelez quelques gestes que nous sommes invités à faire lorsque nous allons à l’église n’est donc pas inutile, chaque geste que nous faisons avec foi est comme frapper à la porte du Seigneur pour lui demander du Pain, un pain spirituel :
- Faire une génuflexion devant le tabernacle, ou une inclination devant l’autel quand on entre.
- Prendre de l’eau bénite en entrant dans l’église, en mémoire de notre baptême,
- S’incliner pendant le Credo, au moment où nous proclamons que le Verbe « s’est fait homme »,
- Se mettre à genoux pendant la consécration, évidemment à condition de pouvoir le faire pour des raisons physiques. Avec l’âge, cela peut être compliqué, cela se conçoit.
- S’incliner ou faire un signe de croix ou une génuflexion avant de recevoir le Corps du Christ,
- Se signer lors de la bénédiction finale. Et à nouveau en sortant de l’église, s’incliner devant l’autel en faisant un signe de croix, ou faire une génuflexion devant le tabernacle.
Ces gestes parlent un langage profond. Ils ne sont pas pour « faire joli », mais pour former notre cœur à l’humilité, à l’adoration, à la foi incarnée.
Pour revenir à saint Dominique, ses frères ont transmis sa manières gestuelles de prier qui sont autant de langages d’intercession qui engagent l’être tout entier :
- Saint Dominique priait debout, les mains tendues :
Comme Abraham, Dominique priait debout, les mains levées, comme un intercesseur au milieu du peuple, suppliant Dieu de faire miséricorde. Cette posture est celle du veilleur, du prophète, de celui qui prend en charge les autres devant le Seigneur, celle de Moise pendant le combat contre les Almalécites, quand ses bras était levé les hébreux avait le dessus, quand il les abaissait c’était les Almalécites. - Il priait prosterné :
Quand la souffrance du monde l’écrasait, Dominique se prosternait de tout son long. Il portait ainsi dans son corps l’humiliation des pécheurs, implorant la miséricorde comme si tout dépendait de lui. Ce n’était pas du théâtre : c’était l’âme mise à nu, corps à terre, cœur tendu vers le ciel. - Il priait à genoux, les bras en croix :
Posture de fatigue, mais aussi de don. Dominique priait ainsi en union avec le Christ crucifié, intercédant pour ceux qui souffrent, comme pour ceux qui blessent. Une manière de se faire médiateur entre les blessures du monde et la guérison de Dieu. - Il priait en pleurant :
Saint Dominique pleurait en priant. Non par faiblesse, mais par compassion. Il pleurait pour les pécheurs, pour ceux qui s’étaient éloignés, pour ceux qu’il ne parvenait pas à rejoindre. Il disait :
« Seigneur, que vont devenir les pécheurs ? »
Ses larmes étaient son offrande. Comme nous aujourd’hui, lorsque nous pleurons devant Dieu pour quelqu’un qu’on aime et qu’on ne peut plus aider autrement. C’est cela, l’intercession véritable : mettre son cœur dans la balance.
- Il priait en regardant le crucifix :
Dominique, parfois, restait longtemps à contempler le Christ en croix, sans un mot. Car l’intercesseur n’a pas toujours besoin de parler. Il regarde Jésus et lui présente silencieusement toutes les détresses, tous les visages, tous les noms. L’intercession passe alors par le regard de foi. - Il priait en marchant :
Dominique priait aussi en marchant, méditant l’Écriture à voix haute, comme un feu qui le brûlait. Il priait en marchant, parce que la prière est vivante, parce qu’elle le conduisait ensuite à prêcher, à consoler, à agir. Intercéder, c’est aussi marcher vers l’autre.
Frères et sœurs, la prière d’intercession, à l’image de celle de saint Dominique, engage notre cœur, notre intelligence, et même notre corps. Nous prions beaucoup trop avec notre tête, d’une manière cérébrale, et finalement desséchée, comme digne fils de Descartes que nous sommes !
Or on peut prier avec son corps, la prière peut se faire debout, à genoux, en larmes, en silence… mais elle a toujours la même source : l’amour pour les autres, et la foi que Dieu peut agir.
Et parfois, nous aussi devons oser demander l’intercession des autres. Cela demande de l’humilité, car accepter d’être aidé, c’est reconnaître qu’on ne peut pas tout. Comme le dit Jésus :
« Frappez, et l’on vous ouvrira. »
Oui, frappons à la porte du cœur de Dieu, non seulement pour nos besoins, mais pour ceux des autres : amis, malades, exclus, pécheurs, personnes en détresse. Et apprenons aussi à ouvrir notre propre porte quand un autre vient frapper à notre cœur.
Saint Dominique intercédait pour le monde entier, souvent la nuit, souvent en silence, souvent en larmes, mais toujours dans une confiance absolue. Imitons-le, et reprenons cette mission à notre mesure : celle de veilleurs dans la nuit, ponts vivants entre la misère des hommes et la miséricorde de Dieu.
Amen.
Père Gabriel Ferone
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