Lien vers les lectures du dimanche 21 septembre
On pourrait penser un peu vite, dans notre pays où la foi a été ostracisée et reléguée au fond des sacristies par une laïcité souvent intolérante, que la foi chrétienne doit se désintéresser du monde qui l’entoure. Bien des chrétiens ont intégré cette mentalité d’effacement de la foi dans le domaine public. Mais l’Église, au contraire, affirme que les chrétiens sont appelés à incarner l’idéal évangélique dans la réalité quotidienne, dans le monde d’aujourd’hui. C’est même la mission spécifique des laïcs.
Le Christ, en racontant la parabole de l’intendant habile, nous rappelle que ses disciples ne doivent pas être coupés des réalités terrestres et qu’ils doivent se montrer avisés : « Les fils de ce monde sont plus habiles que les fils de la lumière ». Autrement dit, il faut savoir user de prudence et d’intelligence pour faire passer dans le monde la nouveauté de l’Évangile.
Ce message est révolutionnaire — encore faut-il préciser ce que cela signifie. Chateaubriand, dans ses Mémoires, raconte comment son opinion sur la Révolution française avait changé du tout au tout lorsqu’il avait vu passer sous sa fenêtre la tête du gouverneur de la Bastille, au bout d’une pique, suivie par une foule hallucinée. Tous ceux qui pensent que l’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs sont révolutionnaires selon l’esprit du monde, mais selon l’Évangile la violence est toujours à proscrire. L’action de l’Évangile doit transformer la société, mais de l’intérieur.
Chacun de nous a donc pour mission, non pas de « transformer le monde » au sens révolutionnaire que Marx donnait à cette formule, c’est-à-dire faire plier le réel à notre volonté, mais plus modestement de le rendre plus humain, plus habitable, à la lumière de l’Évangile.
L’Église possède une doctrine sociale, où l’action politique est considérée comme l’une des formes les plus élevées de la charité, puisqu’elle vise au bien de l’ensemble de la société. Rappelons quelques principes fondamentaux :
- Le bien commun : exercer un pouvoir, c’est toujours viser le bien de tous. Or, dans nos démocraties, l’élu est souvent tenté de satisfaire ceux qui l’ont porté au pouvoir, parfois au détriment de l’ensemble. Prenons un exemple chez nos voisins espagnols : certains gouvernements, pour rester au pouvoir, dépendent de partis indépendantistes, et à chaque alternance les concessions aux minorités basques ou catalanes fragilisent un peu plus l’unité nationale. Il s’agit de flatter ses électeurs. Mais est-ce pour le bien de tous ? La démocratie avait pour but au départ de protéger les minorités, mais aujourd’hui celles-ci ont parfois pris une place disproportionnée au détriment de la majorité et du bien commun. Combien de lois sont ainsi votées pour flatter tel ou tel segment de l’électorat ?
- La subsidiarité : il faut respecter les corps intermédiaires. Les réalités locales doivent être reconnues, car personne n’est mieux placé pour résoudre les problèmes que ceux qui les vivent. Les problèmes se résolvent mieux quand ils sont traités au niveau le plus proche des personnes concernées. Autrement dit, ce que les familles, les quartiers ou les municipalités, peuvent gérer, l’État ne devrait pas l’imposer d’en haut. Chaque niveau de la société doit avoir la liberté et la responsabilité de faire ce qu’il sait le mieux faire. Un état qui veut tout gérer et contrôler est un état totalitaire. Par exemple, les premiers responsables de l’éducation des enfants sont les parents, ce n’est pas l’Etat ni même l’église.
- La centralité de la personne : la personne humaine est la mesure de toute chose, et non l’État ni l’économie. Les régimes totalitaires, qu’ils soient d’inspiration communiste ou capitaliste, ont tendance à réduire l’être humain à une machine de production. Ainsi, l’euthanasie, présentée comme « une mort dans la dignité », n’est en réalité qu’un moyen de supprimer des vies jugées inutiles, car, pour les communistes, improductives et, pour les capitalistes, coûteuses pour la société. Autrefois, chez les Indiens d’Amérique du Nord, les anciens, lorsqu’ils pensaient être devenus une charge pour leur tribu, quittaient discrètement leur campement et allaient se laisser mourir de faim et de soif, s’ils n’étaient pas dévorés par les bêtes sauvages. Certaines lois, comme celle sur l’euthanasie, nous ramènent tout simplement à la barbarie.
- La défense de la famille : les idéologies libertaires visent à déconstruire la famille, vue comme une institution bourgeoise. Or la famille est la cellule de base de la société ; lorsqu’elle est malade, c’est toute la société qui l’est. Les politiques récentes de nos gouvernements et leurs lois sociétales — diminution des aides pour les familles nombreuses, promotion de l’avortement et des théories du genre — détruisent de l’intérieur les personnes en sapant le cadre naturel où toute vie doit s’épanouir : la famille. Comme le rappelait tout récemment le pape Léon : « La famille, c’est le père, la mère et les enfants », et il précisait : « La famille, c’est un homme et une femme engagés dans une union solennelle, bénie par le sacrement du mariage. »
- Le sens du travail : contrairement à une vision hédoniste qui ferait de l’homme un être voué aux loisirs, la tradition chrétienne affirme la dignité du travail. Certes, après le péché originel, il fut associé à la peine, mais dans le Christ il est devenu moyen de sanctification. Le travail est une coopération avec l’œuvre de Dieu, une participation à son achèvement. Dans ce cadre, l’Église milite pour un juste salaire et des conditions de travail respectueuses. Trop d’emplois ne sont en réalité que des petits boulots qui ne permettent pas de vivre dignement. Enfin, le travail doit contribuer au bien commun, et non seulement au profit individuel de quelques-uns. Il doit y avoir une redistribution juste et équitable.
Mes frères, saint Paul invite à « élever des mains pures vers le ciel, sans colère ni disputes ». Aujourd’hui, où certains voudraient régler tous les problèmes par la violence, se souvenir de ces quelques principes que défend l’Église dans un silence assourdissant peut s’avérer utile — le bien commun, la subsidiarité, la dignité de la personne, la famille, le sens du travail — autrement, tôt ou tard, on est amené à se prosterner devant César : l’argent trompeur, le pouvoir, les idéologies, le culte de la force et de la violence pour imposer aux autres sa vision du monde. Le chrétien, lui, choisit de se prosterner devant le Christ, seul véritable Seigneur, pour être, comme il nous l’a enseigné, serviteur de notre prochain et du bien de tous.
Père Gabriel Ferone
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