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Lien vers les lectures du 2e dimanche de l’avent

Il y a des statistiques qui sont cruelles. Je ne vais pas vous parler de la baisse des vocations ou de la crise politique et économique que traverse notre pays. Je veux parler d’une chose qui a aussi son importance et qui est révélatrice du monde dans lequel nous vivons.

En 1940, alors que l’époque n’avait rien de drôle — nous étions en pleine guerre mondiale —, les Français riaient 20 minutes par jour en moyenne. Le chiffre actuel est dérisoirement bas : 3 minutes. En 80 ans, le temps de rire des Français a été réduit par sept.

Au cours du dernier synode, je ne crois pas que l’Église se soit penchée sur cette question préoccupante. Il est vrai que nos autorités ecclésiales ne sont pas réputées pour leur sens de l’humour.

Cependant, le propre d’un peuple chrétien, c’est bien, sinon d’être hilare, du moins d’être joyeux. Un saint triste est un triste saint, disait Thérèse d’Avila. Les lectures du jour nous invitent justement à quitter notre “robe de tristesse et de misère” dans laquelle nous nous complaisons souvent.

Il est tellement agréable de ruminer ses problèmes et de s’accuser de tous les maux de la planète, qu’on finit par les aimer et faire corps avec eux. Un peu comme un arbre totalement envahi par le lierre. De loin, on a l’impression que cela fait partie de l’arbre ; cela est même esthétique. Pourtant, le lierre est en fait comme un vampire, en train d’étouffer et de tuer l’arbre qu’il a colonisé.

Mais la parole de Dieu nous invite à nous réjouir, car “les montagnes seront abaissées, les collines aplanies, car Dieu conduira son peuple dans la joie à la lumière de sa gloire.”

La joie, c’est quelque chose qui est le propre de l’homme, bien sûr, mais aussi et en particulier du christianisme.

Dans l’Antiquité, les dieux ne souriaient pas. Et quand ils souriaient, c’était mauvais signe sur le plan des bonnes mœurs : c’était un rictus pervers. Celui des faunes et autres satyres trousseurs de nymphes. Quant aux vrais dieux de l’Olympe, ils ne sourient jamais. Ils incarnent la sagesse éternelle qui est intemporelle, comme hors du temps et de ce monde. Ces dieux inaccessibles nous invitent cependant à la contemplation.

Le dieu musulman ne sourit pas. On ne peut pas lui reprocher d’ailleurs, car pour sourire, il faut un visage. Il en est dépourvu. Il est l’insondable et le lointain. On ne peut que se prosterner dans la crainte.

Bouddha, quant à lui, sourit. Mais ce sourire ne s’adresse à personne. C’est un sourire intérieur, privé, à usage interne. Il est dans la béatitude. C’est pour lui-même qu’il sourit. Ne le dérangeons pas…

Le Christ, me direz-vous, ne sourit pas beaucoup. On ne le voit guère sourire. Pourtant, quelque part, il est bien le sourire de Dieu. Et il est certain qu’il a souri et même ri, puisqu’il était homme, vrai homme.

Les artistes chrétiens ont toujours hésité à représenter le Christ souriant, car le sourire est parfois ambigu. Le sourire peut être moqueur, narquois. Pensons au sourire méchant de Voltaire.

Mais il y a le sourire de la Vierge Marie devant son enfant, et le sourire de Jésus à sa mère, visible sur tant de statues de l’époque gothique, l’âge d’or de la culture française et chrétienne, celle de nos plus belles cathédrales, celle de Paris et de tant d’autres !

N’oublions pas aussi le sourire des anges, celui extraordinaire de l’archange Gabriel sur la façade de la cathédrale de Reims.

Et puis, il y a le sourire, et même le rire, des saints. Saint Philippe Néri, pour n’en citer qu’un.

Ce sourire n’a rien à voir avec le sourire du commercial essayant de vendre son produit, celui d’un présentateur de télévision ou d’un homme politique cherchant l’œil de la caméra.

C’est en regardant le visage de sa mère, penchée sur son enfant, que celui-ci apprend à sourire.

C’est en regardant vers la Vierge Marie ou vers le Christ que le chrétien découvre qu’il est aimé. Et, étant aimé, il découvre la paix, d’où découle la joie et ce qui va avec : le zèle pour accomplir les choses de Dieu.

Peut-être avez-vous vu, quoiqu’il soit en noir et blanc, le film de Jacques Tati : Jour de fête. Tati a tout à fait perçu les transformations du monde et celles de notre pays.

Le petit village, autour de l’église, qui est présenté dans ce film, appartient malheureusement au passé. Dans ce village, il y a fête. Le facteur fait sa tournée. Il prend le temps de rencontrer les gens, de les saluer, de discuter. Il fait son service d’une manière pas très efficace, mais humaine. Et il est heureux de faire ce travail.

Dans ce village, avec les défauts de ses habitants, il y a une réelle convivialité. Chacun a le temps de rencontrer et de connaître tout le monde. C’était la France d’autrefois.

Et puis, tout d’un coup, tout change. Le facteur, par hasard, assiste à la projection d’un film sur la poste aux États-Unis. Autant dire que cela n’a rien à voir avec la poste dans un petit village de France.

Tout est mécanisé, tout va très vite. Le courrier est livré aux quatre coins d’un pays gigantesque à une vitesse prodigieuse. On voit même des facteurs américains sauter en parachute pour distribuer le courrier. C’est l’efficacité.

Notre facteur, après avoir un peu bu, est piqué au vif. Il veut être facteur, mais à l’américaine, et il entreprend sa tournée à bicyclette comme un cycliste professionnel lors d’une étape du Tour de France. Efficacité ! Efficacité ! Plus de temps à perdre : on jette le courrier plutôt qu’on ne le distribue. On salue les gens, mais on ne s’arrête plus. Évidemment, tout cela se termine dans un fossé.

Voilà un peu la société française telle qu’elle est devenue : elle aussi est un peu dans le fossé.

Une société où l’on n’a plus le temps de sourire parce qu’on n’a plus le temps, tout simplement. Plus le temps de s’arrêter, d’écouter, de regarder, de se regarder, au nom de l’efficacité.

Combien de nos concitoyens sont devenus, ces dernières années, comme ce facteur de Tati, courant du matin au soir, sans plus avoir le temps de rencontrer les personnes ! Que l’on ne s’étonne pas de tant de dépression, de séparation, de chute !

Mais il y a un dicton turc que nous pouvons méditer : “Acele işe şeytan karışır”, que l’on peut traduire par : “Lorsque l’on va trop vite, le démon met son grain de sel.”

“Marthe, Marthe,” a pourtant dit Jésus, “tu t’agites pour bien des choses ! Une seule chose est nécessaire et suffit.”C’est l’attitude de Marie, la sœur de Marthe, qui, au pied de Jésus, écoute sa parole. “À travers le désert du monde moderne, une voix crie !”Cette voix, on ne peut l’entendre si l’on est enfermé dans la tristesse et la fuite en avant. Ouvrons nos cœurs à la joie qui vient !

Se complaire dans le négatif, dans ce qui ne va pas, est un péché. Dans la tradition de l’Église, cela s’appelle l’acédie. Le mot vient du grec ancien akedia (ἀκηδία), qui signifie “négligence” ou “manque de soin”. Littéralement, il se réfère à une indifférence ou une incapacité à s’engager dans ce qui est important ou vertueux.

C’est une maladie de l’âme, où la personne se complaît dans la souffrance et les idées noires. Dans la tradition monastique, c’est considéré comme un péché capital.

Les remèdes sont connus :

  • La prière, qui redonne un sens, une direction : “Debout et regarde vers l’orient, vers le soleil levant, vers le Christ vivant et ressuscité !”
  • L’action, qui permet de se concentrer sur des tâches concrètes pour lutter contre l’inertie : “Préparons les chemins du Seigneur ! Aplanissons sa route !”
  • La communauté, pour chercher un soutien auprès des autres et surmonter l’isolement. Un chrétien seul est un chrétien en danger !

Les livrets de l’Avent sont l’occasion de nous réunir entre frères et sœurs en ce temps qui précède Noël, pour écouter la parole de Dieu en Église. Profitons-en !

“Vois tes enfants rassemblés du levant au couchant par la parole du Dieu Saint.”

Toutes nos célébrations pour la fête des Lumières sont aussi d’excellentes occasions d’ouvrir nos verrous fermés et de nous tourner vers la lumière : celles des autres et celle de Dieu, rayonnant à travers Marie.

Père Gabriel Ferone

Retrouvez les homélies du père Gabriel dans la rubrique « Messes et célébrations » / « Homélies des pères Gabriel et Bertrand » de ce site

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