Lien vers les lectures du 29e dimanche du temps ordinaire
– Homélie du père Bertrand –
Qu’est-ce que c’est que cette comparaison ?
Voici une parabole étrange. Il est encore plus étrange qu’elle ne nous choque pas. Comment peut-on comparer Dieu à un juge sans justice ? Comment Jésus peut-il le faire lui-même sans que cela nous heurte ? Peut-être à cause de notre manque de foi. Dieu est-il avec nous, ou n’y est-il pas ?
Souvent, les paraboles se laissent lire par notre ressentiment, le menant à sa folie pour mieux le dénoncer. Elles nous caressent dans le sens du poil que le surmoi fait taire en société. Au fond de nous, nous pensons mal de Dieu : ne l’avons-nous pas comparé à un voyou, même si c’était pour l’en distinguer ? Mais qui compare ceux qu’il aime aux sales types ? Avec une telle idée de Dieu, et de la prière, étonnez-vous que ça ne marche pas. Le ver est dans le fruit. Le sacrilège s’immisce au cœur de la confession de foi. Dieu est miséricordieux, mais en fait… Dieu a vu la misère de son peuple, mais en fait…
Si la foi des chrétiens et la prédication instillent le doute quant à la bonté infinie de Dieu, on comprend que Jésus puisse s’interroger. « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Donc la prière est autre chose que la demande à un autocrate, même très bon, qui peut nous accorder des choses.
La prière est vie sous le regard de Dieu, dans la confiance. Elle est un dialogue amoureux, ne cherchant pas à savoir quel billet je vais devoir mettre dans mon livre de prière pour obtenir ce qui est bon pour moi.
La prière de cette veuve est bonne parce qu’elle attend la justice d’un autre. Elle refuse d’obtenir ce à quoi elle a droit si elle ne l’obtient pas en justice. Cette attitude est bonne – très bonne. Combien de fois prenons-nous ce qui nous est nécessaire sous prétexte que cela ne nous est pas donné en justice.
Nous le ferions même dans notre relation à Dieu – qui serait comme un juge sans justice. Au contraire soyons avec Dieu comme avec un Père, une sœur une mère… Dialoguant dans l’amour sans désirer rien d’autre que la présence de l’aimé.
Père Bertrand Carron
– Homélie du père Gabriel –
« Il faut toujours prier sans se décourager » (Lc 18, 1-8)
Il était une fois une colonie de fourmis.
Un jour, elles décidèrent d’organiser une grande course : il s’agissait d’atteindre le sommet d’un vieux mur de pierre, tout rugueux, tout glissant. Autour d’elles, beaucoup d’autres insectes s’étaient rassemblés pour regarder. Mais très vite, on entendit des rires et des paroles décourageantes :
« Inutile ! Elles n’y arriveront jamais ! »
« Trop haut, trop dur, trop ambitieux ! »
Alors, les unes après les autres, les fourmis abandonnèrent.
Toutes, sauf une.
Elle continuait à grimper, lentement, patiemment, centimètre après centimètre. Et pendant que les autres se moquaient, elle avançait, sans s’arrêter, jusqu’à atteindre le sommet. Quand elle redescendit, ses compagnes, stupéfaites, voulurent savoir comment elle avait fait.
Et elles découvrirent qu’elle… était sourde !
Cette petite histoire nous parle, frères et sœurs, de la persévérance dans la prière.
Comme la fourmi sourde, il nous faut apprendre à ne pas écouter toutes les voix qui nous disent : « À quoi bon prier ? Dieu ne répond pas. C’est inutile. »
Être sourd à ces découragements, c’est déjà un acte de foi.
Dans la première lecture, Moïse prie les bras levés pendant que le peuple combat. Quand il se fatigue, Aaron et Hour le soutiennent. Et l’expression « baisser les bras » vient de là !
La prière est un combat, un effort qui demande soutien et fidélité.
Le psaume de ce dimanche chante :
« Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? »
Et Jésus, dans l’Évangile, nous le redit clairement :
« Il faut toujours prier sans se décourager. »
La prière n’est pas ‘expéditive’. Notre vieux fond païen rêverait une prière « expéditive ». Lorsque le résultat d’une telle demande païenne se fait attendre, nous sommes découragés. On a même inventé un saint dans nos églises pour cultiver cette tendance « expéditive » de la prière : c’est justement… Saint Expédit ! Le jeu de mot qui découle du nom de saint Expédit en dit long sur notre impatience ! La légende faisait de saint Expédit un commandant Romain d’Arménie, converti au Christ et décapité pour cette raison en 303 par l’empereur Dioclétien. Le pape Pie XI a rayé son nom du martyrologe romain en 1905, mais rien n’y fait : on continue à espérer de lui un traitement en colissimo de nos prières urgentes… Sans doute à cause de la légende de sa conversion. On raconte qu’Expédit était sur le point de demander le baptême lorsqu’un corbeau arriva en criant : ‘Cras ! cras ! cras ! cras !’ (ce qui signifie en latin: ‘demain !’, et cela ressemble au croassement du corbeau). Expédit l’écrasa en criant à son tour : ‘Hodie ! hodie ! hodie ! hodie !’ (‘aujourd’hui !’). Expédit est donc souvent représenté portant la palme du martyre, écrasant un corbeau, avec les inscriptions : Cras ! Hodie ! Mais la ferveur populaire oublie que c’est sur la conversion que porte la rapidité « expéditive » de la prière du saint, pas sur la réalisation d’une demande dans la prière ! La conversion peut être expéditive, la prière plus rarement… Voilà pourquoi il nous faut apprendre à « toujours prier sans se décourager jamais »
Parce que oui, le découragement nous guette : où trouver la force pour continuer à chercher du travail quand on est chômeur depuis trop longtemps ? Où trouver l’énergie pour continuer à se battre pour ses enfants quand on est une femme seule ? Comment ne pas sombrer dans l’alcool ou la dépression lorsqu’on est à la rue ? Où trouver un soutien pour ne pas « baisser les bras » lorsqu’on entre en chimiothérapie ? lorsque la mort nous enlève un être proche ? Comment apprendre à devenir cette grenouille sourde : sourde à la fatigue, à l’échec, à la frustration, à la peur…
Mais c’est justement dans la prière que Dieu rallume notre courage.
Saint Paul le rappelle à Timothée : « Les Écritures te donnent la sagesse qui conduit au salut. »
La prière et la Parole de Dieu sont nos deux bras levés vers le ciel.
Le mot courage vient du latin cor, le cœur. Avoir du courage, c’est donc avoir du cœur à l’ouvrage.
C’est ce cœur qui irrigue notre vie, qui fait circuler l’espérance dans tout notre être. Quand nous prions, nous remettons notre cœur à battre au rythme du cœur de Dieu.
Prier, ce n’est pas réciter machinalement : c’est retrouver au fond de soi la source d’énergie, celle qui permet de ne pas « baisser les bras », même dans la nuit.
La vraie prière n’est pas rapide, mais elle commence aujourd’hui. Pas demain. Pas quand tout ira mieux.
Aujourd’hui.
Et si parfois Dieu semble tarder à répondre, c’est pour agrandir notre désir.
Écoutons saint Augustin, ce grand maître du cœur et de la prière :
« Quand Dieu tarde à vous donner, c’est, non pour vous refuser ses dons, mais pour vous les faire apprécier.
On reçoit avec plus de joie ce qu’on a désiré longtemps ; on n’apprécie pas ce qu’on obtient trop vite.
Demandez, cherchez, insistez. En demandant et en cherchant vous grandissez, et vous vous préparez à recevoir ce que vous demandez.
Dieu vous réserve ce qu’il ne veut pas vous donner tout de suite, afin que vous appreniez à désirer avec grandeur de grandes choses.(Sermon LXI, 5-6)
Frères et sœurs, soyons comme cette petite fourmi : sourds aux paroles de découragement,
tenaces dans la montée, fidèles dans la prière.
Dieu ne se lasse jamais de nous écouter, même quand nous, nous nous lassons de lui parler.
Alors, reprenons courage, relevons la tête, et comme Moïse, comme la veuve de l’Évangile, continuons à prier — sans jamais nous décourager.
Père Gabriel Ferone
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